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Le Tribunal des conflits avait indiqué, au mois de mars dernier, qu’il appartenait à la justice judiciaire et non à la justice administrative de dire si le contrat nouvelles embauches (CNE) respectait le droit international. 

Cette décision ne préjugeait pas de la légalité du CNE au regard de la convention 158 de l’organisation internationale du travail (OIT), qui interdit de licencier sans justification durant une période déraisonnable.

La cour d’appel de Paris a repris le cours de l’instance et confirme, dans un arrêt du 6 juillet, le jugement du Conseil de Prud’hommes de Longjumeau du 28 avril 2006 qui avait rendu un jugement de principe en estimant que le CNE était contraire à la convention de l’OIT.


 

Créé par Dominique de Villepin quand il était à Matignon, le CNE, institué par l’ordonnance du 2 août 2005, est un contrat réservé aux entreprises n’employant pas plus de 20 salariés. Ce contrat est soumis aux dispositions du Code du travail, à l’exception, pendant les deux premières années, des articles relatifs à la procédure et au motif de licenciement. Autrement dit, pendant deux ans, l’employeur peut rompre le contrat sans avoir à justifier sa décision.

Pour les syndicats et de nombreux juristes, cette exclusion heurtait de plein fouet la convention n° 158 de l’OIT, signée à Genève le 22 juin 1982 et entrée en vigueur en France le 16 mars 1990, qui exige notamment, dans ses articles 4, 7, 8, 9 et 10, que l’employeur justifie «d’un motif valable de licenciement» et que le salarié ait la possibilité de se défendre.

Une secrétaire embauchée en CNE à Versailles, Linda, après deux CDD d’affilée, a contesté la rupture de son contrat de travail et son licenciement en janvier 2006. Dans un premier temps, le conseil des prud’hommes de Longjumeau lui a donné raison et a rendu un jugement de principe en estimant que le CNE était contraire à la convention 158 de l’OIT. Son employeur et le parquet ont alors fait appel et le dossier est remonté jusqu’au Tribunal des conflits, le ministère du travail et de l’emploi soutenant envers et contre tout qu’il relevait de la justice administrative et non de la justice classique (judiciaire).

À titre préliminaire, les juges de la cour d’appel de Paris devaient déterminer si lesdits articles étaient applicables directement en droit français et pouvaient être invoqués devant les juridictions françaises. La cour a répondu positivement en considérant que l’ordonnance de 2005 «ne satisfait pas à l’exigence de conventionnalité qu’il devait respecter à l’égard d’une norme supérieure».


Aux termes de l’article 2 de la convention 158 de l’OIT, les exigences liées à un motif et à une procédure de licenciement peuvent être écartées pour les «travailleurs effectuant une période d’essai ou n’ayant pas la période d’ancienneté requise, à condition que celle-ci soit fixée d’avance et qu’elle soit raisonnable». Or, l’ordonnance de 2005 ne donne aucune indication sur la nature du délai de deux ans pendant lesquels l’employeur peut rompre le CNE sans motif ni procédure de licenciement. À la différence du conseil des prud’hommes de Longjumeau (Essonne), qui avait analysé cette période en une période d’essai, la cour d’appel de Paris la qualifie de « période d’ancienneté». Selon la Cour, cette période «a pour seul objet d’ouvrir, à son terme, l’applicabilité de l’ensemble du Code du travail au salarié ; [...] cet écoulement mécanique du temps caractérise l’acquisition de l’ancienneté qui n’est pas soumise, comme une période de formation qui peut être prolongée, à une appréciation subjective des cocontractants». Peu importe à cet égard, précise logiquement la Cour, la perception que les usagers du CNE peuvent avoir de cette période.


La période de deux ans prévue par l’ordonnance de 2005 est-elle une période « raisonnable», au sens de la convention de l’OIT ? La cour d’appel de Paris juge ce délai déraisonnable. Pour la cour, l’ordonnance place le salarié «dans une situation comparable à celle qui existait antérieurement à la loi du 13 juillet 1973». Il s’agit, poursuit-elle, d’une «régression qui va à l’encontre des principes fondamentaux du droit du travail [...] (qui) prive les salariés des garanties d’exercice de leur droit au travail». Dans la lutte contre le chômage, ajoute l’arrêt, «la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier et (qu’) il est pour le moins paradoxal d’encourager les embauches en facilitant les licenciements». Le CNE est donc contraire à la convention de l’OIT. C’est donc une grande victoire pour tous les salariés mais elle reste encore provisoire, l’employeur disposant de deux mois pour se pourvoir en cassation. Pour l’heure, la salariée a obtenu la requalification de son CNE en contrat de droit commun, et en l’absence de lettre motivant de licenciement, l’employeur a été condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. 


 

 

- A Paris, cinq salariés d’un magasin de chaussures ont été engagés en CNE avant la période des soldes... puis congédiés juste à la fin de celle-ci. Un autre s’est même vu proposer un CNE en cours de CDI pour se faire licencier quinze jours plus tard…


- En région parisienne, un salarié a reçu sa lettre de licenciement le lendemain du jour où il est arrivé avec dix minutes de retard à son travail, suite à un embouteillage dû à un accident de la circulation, avec lequel il n’avait rien à voir…

- Dans le Nord, un boucher a été remercié après avoir fait ses courses en jogging, en dehors de ses horaires de travail, dans le supermarché où il travaillait…


- A Grenoble, une employée, embauchée en CNE après trois missions d’intérim sur le même poste, s’est vue licenciée le lendemain de sa visite chez le médecin du travail qui lui avait conseillé de demander un siège adapté ses problèmes de dos…


- A Grenoble toujours, un serveur a été licencié après avoir annoncé à son employeur qu’il devait subir une courte intervention chirurgicale.


- Dans la région bordelaise, à peine engagé comme technicien polyvalent le 1er septembre 2005, le salarié voit son contrat rompu par lettre du 31 octobre. Le 14 novembre, alors qu’il vient chercher un reçu pour solde de tout compte qui lui est refusé, un incident l’oppose au gérant, qui le licencie pour faute lourde le 30 novembre.


- A Pauillac, un salarié agricole a été licencié après avoir réclamé le paiement de ses heures supplémentaires.


- Pompon de la délicatesse enfin dans divers départements : plusieurs femmes enceintes ont perdu leur emploi après avoir officialisé leur grossesse auprès de leurs employeurs...

 


 

Photo Flickr-cc ; CNE par Spacing Magazine (http://www.flickr.com/photos/spacing/)     

Tag(s) : #Droit - Justice
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